samedi 24 décembre 2011

NOEL !

"Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; car tu marcheras devant le Seigneur, pour lui préparer les voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut par la rémission de ses péchés ... pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix."

LUC, 1, 76-79

mardi 15 novembre 2011

La beauté



Aucune grâce extérieure n'est complète si la beauté intérieure ne la vivifie. La beauté de l'âme se répand comme une lumière mystérieuse sur la beauté du corps.

Victor HUGO, Post-scriptum de ma vie

dimanche 13 novembre 2011

La prière

La vie spirituelle véritable ne s'ouvre qu'avec l'affirmation d'une réciprocité en Dieu, d'une réponse, et cette affirmation c'est la prière.

Gabriel MARCEL, Fragments philosophiques (1909-1914)

jeudi 10 novembre 2011

Poème à Franca

les noms d'oiseaux
te couvrir de noms
d'oiseaux
te couvrir d'aigles et d'argile
d'algues et de douleurs
te couvrir d'ailes
de doubles ailes mon empennage
d'ocre et de langes de bleu de
larmes
te couvrir de flammes et de cris
d'ambre et de braises
de cendre et d'aube
de terre nuit et de mer grise
te couvrir de chapeaux d'église
de toits de fruits
t'habiller d'ombres désavouées
te prendre fils octogonaux
ma belle araignée à l'oeil rond
le cri muet du cercle intense
mouches désoeuvrées ô silence

tremblait la neige comme toi
le coeur bat rouge neige neige
...
te couvrir d'arbres désarmés
quand les comptables passeront
avec leur carnet leur crayon
pour la revue de fin d'année
tendre arbre nu ma bien-aimée
je dis rien t'as raison tu cause(s)
je n'ai que sottise à te dire
et c'est toujours la même chose
même chose à écrire à lire

t'es pas un fil t'es pas une ombre

l'espace est plein de points précis
indiscernables exacts prémédités
géométrie commodités
pour achever notre récit

que tu es longue ma mémoire
toi longue longue mon amour
longue à attendre brève à voir
ma longue soif brève à boire

ma longue à boire brève soif

ma longue soif longue à boire

Louis ALTHUSSER, Lettres à Franca (1961-1973)


mardi 8 novembre 2011

La charité

La charité ne peut être mise en déroute par la souffrance, car sa tendresse est universelle ; celui qui aime ne peut jamais haïr, quoi qu'on lui fasse ; c'est là ce que la charité a de meilleur.

Saint Jean CHRYSOSTOME, 33 ème homélie

dimanche 6 novembre 2011

Les roses de Saadi


J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)



mercredi 2 novembre 2011

Renoncement

"Renoncer à obtenir tout immédiatement, consentir à cesser d'être His Majesty the Baby, renoncer à conquérir et à posséder la mère, à supprimer père et frères, reconnaître notre finitude, admettre que nous ne sommes pas immortels et que nous ne sommes ni le centre du monde ni le centre de nous-mêmes, découvrir à nos dépens les limites de notre pensée... La liste est longue et il ne nous plaît pas de voir dans notre vie une succession de renoncements. Telle est pourtant la condition pour que cette vie invente et s'invente, soit toujours en mouvement au lieu de rester à jamais fixée à ses premières attentes, à ses premiers objets d'amour et de haine."

Jean-Bertrand PONTALIS, Un jour le crime (2011)

lundi 10 octobre 2011

Laudate...

Effacement de la frontière entre la poésie et la prose. Célébration conjointe de l'autre et de l'être, addition de petits riens, festin de détails, perpétuelle action de grâce.

Alain FINKIELKRAUT, Et si l'amour durait (2011)

vendredi 7 octobre 2011

Du bon usage du roman

... de Don Quichotte à Madame Bovary, les romanciers ont traité du retentissement de la mauvaise littérature sur la vie des hommes. C'est justement le problème posé au roman et c'est là que l'on voit tout l'enjeu de la littérature. Pourquoi faut-il lire de bons livres ? Pour échapper à l'emprise des mauvais sur notre vie la plus intime.

Alain FINKIELKRAUT, Nous, les post-romantiques (2011)

jeudi 6 octobre 2011

Pouvoirs de la parole

La parole, on le sait, occupe une place prépondérante dans l'histoire des cures psychiques : elle soigne, elle répare, elle permet de lever les mauvais sorts et elle est parfois l'équivalent d'une confession. Elle possède des vertus cathartiques au même titre que le théâtre des Tragiques grecs, dont Freud se voulut d'ailleurs l'héritier. Elle permet au patient de se déprendre de son illusoire prétention à la maîtrise de soi et au thérapeute d'inventer des interprétations libératrices. (...) La parole peut aussi se transformer en un outil de destruction quand elle sert de support à des anathèmes, des rumeurs, des complots. Elle devient infâme, trompeuse, assassine dès lors qu'elle est maniée par des dictateurs ou des gourous qui savent capter la haine des peuples pour la retourner contre les élites. On sait que la parole et la voix de Hitler ont perverti la langue allemande tout en exerçant sur les foules un pouvoir de fascination hypnotique.

Elisabeth ROUDINESCO, Lacan, envers et contre tout (2011)

dimanche 4 septembre 2011

ll faut nous aimer

Il faut nous aimer sur terre. Il faut nous aimer vivants.
Ne crois pas au cimetière. Il faut nous aimer avant.
Ma poussière et ta poussière deviendront le gré des vents.

IL FAUT NOUS AIMER VIVANTS

Sans curé, maire, notaire
Ou avec, ça se défend,
Il faut nous aimer sur terre,
Il faut nous aimer vivants.

Ne crois pas au cimetière,
Il faut nous aimer avant.

À moins d’être au monastère
Et toi ma belle au couvent,
Il faut nous aimer sur terre,
Il faut nous aimer vivants.

Ne crois pas au cimetière,
Il faut nous aimer avant.

N’embarquons pas pour Cythère
Morts et froids les pieds devant.
Il faut nous aimer sur terre,
Il faut nous aimer vivants.

Ne crois pas au cimetière,
Il faut nous aimer avant.

Quand même un Dieu salutaire
Renouerait nos cœurs fervents,
Il faut nous aimer sur terre,
Il faut nous aimer vivants.

Ne crois pas au cimetière,
Il faut nous aimer avant.


Paul FORT (1912)






jeudi 28 juillet 2011

Eurydice

Ne pas pouvoir se retourner
Quand le jour est derrière soi.
Qu'une nuit de mauvaise foi
Hante notre face damnée,
Quand le visage d'Eurydice
Forme une aurore de délice
Et nous illumine le dos
Mais laisse nos yeux sans échos
Et sans regard pour la merveille
Qui derrière nous appareille.
Il suffirait d'un mouvement
Pour que s'approche un autre monde
Pour que les ténèbres répondent
A notre coeur interrogeant.
Mais tu ne peux pas faire un geste,
Mille fers crochus t'en empêchent,
Ni même lever une main
Qui éclairerait ton chemin.

(...)

L'oubli me pousse et me contourne
Avec ses pattes de velours,
Il est poussé par le silence
Et l'un de l'autre ils font le tour,
Doucereux étouffeurs d'amour.
On sait toujours à quoi ils pensent
Et c'est aux dépens de nos jours,
Eux qui confondent leurs contours
Et l'un l'autre se recommencent
Pour mieux effilocher nos jours
Jusqu'à l'ultime transparence,
Tout en faisant le coeur plus lourd
Pour presque empêcher son avance.
Voilà, voilà qu'ils l'ont glacé !
C'est leur façon de terrasser.
Oh ! que je tâte cette pierre
Qu'éclaire l'étoile polaire !

Jules SUPERVIELLE, Oublieuse mémoire (1948)

samedi 16 juillet 2011

Les beautés offertes

"Il faut sauver les beautés offertes et nous serons sauvés avec elles. Pour cela, il nous faut, à l'instar des artistes, nous mettre dans une posture d'accueil, ou alors, à l'instar des saints, dans une posture de prière, ménager constamment en nous un espace vide fait d'attente attentive, une ouverture faite d'empathie d'où nous serons en état de ne plus négliger, de ne plus gaspiller, mais de repérer ce qui advient d'inattendu et d'inespéré."

François CHENG, Oeil ouvert et coeur battant

jeudi 30 juin 2011

Amour mutuel

"Je disais que l'amour vrai, c'est discerner dans l'autre - pour l'avoir reconnu tout d'abord en soi-même - le vrai moi, sujet de l'amour, et l'aider à prendre conscience de ce qu'il est ou peut devenir. N'est-ce pas l'aider à réfléchir la lumière de l'amour créateur ? Non, ce serait-là trop dire, et pas assez. Aimer, c'est aider l'autre à se situer de telle manière que la lumière se voie en lui, mais qu'en même temps le vrai moi de l'amant s'y découvre, autrement éclairé, et par là subtilement changé, un peu plus lui-même qu'avant : amour mutuel."

Denis de ROUGEMONT
, Comme toi-même

mardi 28 juin 2011

Hymne à la joie

O Homme, prends garde !
Que dit Minuit profond ?
J'ai dormi, j'ai dormi -
Du fond d'un songe je m'éveille :
Profond est le monde
Et plus profond que le jour ne l'a cru.
Profonde est sa douleur -
Mais la joie plus profonde encore que la peine
La douleur dit : Passe et finis !
Mais toute joie veut l'éternité,
Veut la profonde, profonde éternité !

Friedrich NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra

samedi 25 juin 2011

Le fil d'Ariane

Grandes formes simples et ordonnatrices, symboles actifs et véhicules des puissances animiques d'Eros, les mythes peuvent nous servir de guides dans la Comédie infernale, purgative ou sublime de nos désirs, de nos passions, de notre amour. Quand nous ignorons leur nature, ils nous gouvernent sans pitié et nous égarent. Mais les identifier, connaître leur langage et les tours et détours dont ils sont coutumiers peut nous permettre de trouver le fil rouge des trames où nous sommes engagés, et de nous orienter dans la forêt obscure de nos phantasmes, vers l'issue de lumière et notre vrai Désir."

Denis de ROUGEMONT, Comme toi-même, Essais sur les Mythes de l'Amour

dimanche 12 juin 2011

Dimanche de Pentecôte

"l'Esprit de Yahvé reposera sur lui : esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte de Yahvé"

Isaïe
XI, 2.

samedi 4 juin 2011

Hymne

À la très-chère, à la très-belle
Qui remplit mon coeur de clarté,
À l'ange, À l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !

Elle se répand dans ma vie
Comme un air imprégné de sel,
Et dans mon âme inassouvie
Verse le goût de l'éternel.

Sachet toujours frais qui parfume
L'atmosphère d'un cher réduit,
Encensoir oublié qui fume
En secret à travers la nuit,

Comment, amour incorruptible,
T'exprimer avec vérité?
Grain de musc qui gis, invisible,
Au fond de mon éternité !

À la très-bonne, à la très-belle
Qui fait ma joie et ma santé,
À l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !

Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal

jeudi 2 juin 2011

De l'amour

Il est caractéristique de l'Europe chrétienne et de l'Occident tout entier que, là seulement, toutes les formes humaines de l'attrait aient pu être comprises sous un vocable unique, désignant non quelque substance commune, mais un mouvement créateur de l'être, qui se manifeste en elles toutes. Il est inévitable que certains critiques me reprochent de "confondre"... l'amour divin, la passion et le désir, l'agapè, l'éros et l'aphros; mais cette apparente erreur de vocabulaire est le fait de toute notre culture occidentale.
(...)
Ces vifs plaisirs profonds, anxieux ou tendres, moments de grâce de l'amour humain et couleurs du langage mystique, procèdent de l'imagination. Ils ne sont, de toute évidence, pas plus "physiques" que spirituels, bien qu'ils tiennent à ces deux domaines, et peut-être surtout au second. Ils ne sont pas du monde des corps, qui est substantif, ni du monde de l'esprit, qui est celui du verbe, mais du monde animé de l'adjectif qui est qualification de la substance par l'émotion."

Denis de ROUGEMONT
, Comme toi-même

lundi 16 mai 2011

La petite espérance

Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance.
Et je n'en reviens pas.
Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout.
Cette petite fille espérance. Immortelle.
C'est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
L'Espérance voit ce qui n'est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n'est pas encore et qui sera.
Dans le futur du temps et de l'éternité.
Pour ainsi dire dans le futur de l'éternité même.

Charles PEGUY
, Le Porche du mystère de la deuxième vertu.

mercredi 11 mai 2011

Regrets

France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle.
Ore, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle :
Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las ! Tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

Joachim du BELLAY
, Regrets, IX.

dimanche 8 mai 2011

8 mai 1945-8 mai 2011

Ô mois des floraisons mois des métamorphoses
Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé
Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses
Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés
...
Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres
Douceur de l'ombre dont la mort farde les joues
Et vous bouquets de la retraite roses tendres
Couleur de l'incendie au loin roses d'Anjou

Louis ARAGON
, Le Crève-coeur, 1941

samedi 7 mai 2011

Le joli mois de mai...

Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'aube de ses pleurs, au point du jour, l'arrose;

La grâce dans sa feuille et l'amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d'odeur;
Mais battue ou de pluie ou d'excessive ardeur,
Languissante, elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi, en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.

Pierre de RONSARD
, Amours de Marie, II, 4.

jeudi 5 mai 2011

Je songe ...

Je songe à la saison où mûrissaient les citrons. Au vent de février qui cassait les tiges des fougères avant qu'on ne les eût laissées se dessécher. Aux citrons mûrs dont l'odeur emplissait la vieille cour.
Par les matins de février, le vent venait de la montagne. Les nuages attendaient là-haut que le beau temps les fasse descendre dans la vallée; entre-temps, ils laissaient le ciel bleu vide, ils laissaient la lumière entrer dans le jeu du vent qui dessinait des cercles sur la terre, brassait la poussière et faisait battre les branches des orangers.
Les moineaux riaient. Ils picotaient les feuilles que le vent faisait tomber et riaient; ils laissaient des plumes entre les branches épineuses, chassaient les papillons et riaient. C'était la belle saison.
En février, quand les matins n'étaient que vent, moineaux et lumière bleue. Je m'en souviens.
C'est à cette saison que ma mère est morte.

Juan RULFO, Pedro Paramo (trad. Gabriel Iaculli)

lundi 2 mai 2011

La poésie

Je crois que la poésie est quelque chose qu'on sent, et si vous ne sentez pas la poésie, la beauté d'un texte, si un récit ne vous donne pas l'envie de savoir ce qui s'est passé ensuite, c'est que l'auteur n'a pas écrit pour vous. Laissez-le de côté car la littérature est assez riche pour vous offrir un auteur digne de votre attention, ou indigne aujourd'hui de votre attention mais que vous lirez demain.
(...)
Le fait esthétique est quelque chose d'aussi évident, d'aussi immédiat, d'aussi indéfinissable que l'amour, que la saveur d'un fruit, que l'eau. Nous sentons la poésie comme nous sentons la présence d'une femme, ou comme nous sentons le voisinage d'une montagne ou d'une baie. Si nous la sentons de façon immédiate, pourquoi la diluer dans d'autres mots qui seront certainement moins forts que nos sentiments.

Jorge Luis BORGES
, Conférences

dimanche 1 mai 2011

L'amitié

Moi qui éprouve, comme chacun, le besoin d'être reconnu, je me sens pur en toi et vais à toi. J'ai besoin d'aller là où je suis pur. Ce ne sont point mes formules ni mes démarches qui t'ont jamais instruit sur qui je suis. C'est l'acceptation de qui je suis qui t'a fait, au besoin, indulgent à ces démarches comme à ces formules. Je te sais gré de me recevoir tel que me voici. Qu'ai-je à faire d'un ami qui me juge ? Si j'accueille un ami à ma table, je le prie de s'asseoir, s'il boîte, et ne lui demande pas de danser.

Antoine de SAINT-EXUPERY
, Lettre à un otage (1944)

lundi 25 avril 2011

Sourire

Wept for me for thee for all,
When he was an infant small.
Thou his image ever see.
Heavenly face that smiles on thee.

Smiles on thee on me on all,
Who became an infant small,
Infant smiles are his own smiles,
Heaven and earth to peace beguiles.

William BLAKE
, Songs of Innocence (1784)

vendredi 22 avril 2011

Vendredi Saint

La prière sacerdotale du Sauveur (Jean,17) nous révèle le mystère de sa vie intérieure : l'intimité des personnes divines et l'inhabitation de Dieu dans son âme. C'est dans l'abîme de ces profondeurs mystérieuses, dans le silence et le secret, que l'oeuvre de la Rédemption a été conçue et consommée ; et c'est ainsi qu'elle se poursuivra jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce que tous soient Un...

Edith STEIN
, La Prière de l'Eglise (1936)

lundi 11 avril 2011

Le regard, la poésie

... le monde est un, tout est en lui; de la vie banale aux sommets de l'art, il n'y a pas rupture, mais épanouissement magique, qui tient à une inversion intime de l'attention, à une manière tout autre, tout autrement orientée, infiniment plus riche en harmoniques, d'écouter et de regarder. Ce qui fait que la littérature (j'ai envie de dire plutôt : la poésie) est à prendre en effet extrêmement au sérieux, et à prendre au sérieux sans tristesse aucune, à cause de son immense, et quotidienne, capacité de métamorphose et d'enrichissement.

Julien GRACQ, Entretiens (2002)

jeudi 31 mars 2011

Les Arcanes

Or, il advint qu'un jour Adam entendit en son moi Eve qui l'interrogeait : "Adam, être de mon amour, n'est-il pas vrai que ce qui me sépare de toi est le rien ?"

Ce mot rien résonnait doucement et étrangement dans la bouche de l'épouse. Adam tomba dans une profonde méditation.

Il ne ferma pas les yeux. Il interrogeait l'espace, l'incorporelle lumière de la beauté. La vision était là. Adam leva la tête; un aigle volait vers le soleil. L'espace était là. Deux nuages légers glissaient lentement comme pour se fondre en un seul : il y avait comme une impatience en Adam; les nuages glissaient lentement dans le temps. Et sous les pieds d'Adam, les pierres étaient chaudes du merveilleux midi.

O.V. de L. MILOSZ, Les Arcanes (1994)

mercredi 16 mars 2011

Pour l'Absente

Je ne cherche plus ton visage

Ta voix ne m’atteint plus qu’en rêve

Nul besoin de serrer ton poignet sous mes doigts

Mais l’opacité des jours et des nuits
s’est diluée dans la clarté

Délivré
du nuage devant le soleil
de la mélancolie du regard qui se détourne
Pour trouver dans l’absence la force d’aimer mieux

Je sais quels mots tu n’as jamais pu dire

Je sais quels autres mots j’aurais dû inventer

Tu n’as jamais été si près de moi

Marcel RAYMOND, Poèmes pour l'Absente

dimanche 6 mars 2011

J'aime ce poème

Ce n'est pas tous les jours dimanche
Et longue joie...Il faut partir.
La peur de ne pas revenir
Fait que son sort ne change.

Je sais ce qu'il a vu,
Ses enfants à la main,
Gais et si fiers de ce butin,
Dans les maisons et dans les rues.

Il a vu l'endroit où est son bonheur,
Des corsages fleuris d'anneaux et de rondeurs,
Sa femme avec des yeux amusants et troublants,
Comme un frisson d'air après les chaleurs,
Et tout son amour de maître du sang.

Paul ELUARD, Le devoir et l'inquiétude (1917)

samedi 5 mars 2011

Le rendez-vous perpétuel

J'écris contre le vent majeur et n'en déplaise
A ceux-là qui ne sont que des voiles gonflées
Plus fort souffle ce vent et plus rouge est la braise

L'histoire et mon amour ont la même foulée
J'écris contre le vent majeur et que m'importe
Ceux qui ne lisent pas dans la blondeur des blés

Le pain futur et rient que pour moi toute porte
Ne soit que ton passage et tout ciel que tes yeux
Qu'un tramway qui s'en va toujours un peu t'emporte

Contre le vent majeur par un temps nuageux
J'écris comme je veux et tant pis pour les sourds
Si chanter leur paraît mentir à mauvais jeu

Il n'y a pas d'amour qui ne soit notre amour
La trace de tes pas m'explique le chemin
C'est toi non le soleil qui fais pour moi le jour

Je comprends le soleil au hâle de tes mains
Le soleil sans amour c'est la vie au hasard
Le soleil sans amour c'est hier sans demain

Tu me quittes toujours dans ceux qui se séparent
C'est toujours notre amour dans tous les yeux pleuré
C'est toujours notre amour la rue où l'on s'égare

C'est notre amour c'est toi quand la rue est barrée
C'est toi quand le train part le coeur qui se déchire
C'est toi le gant perdu pour le gant déparé

C'est toi tous les pensers qui font l'homme pâlir
C'est toi dans les mouchoirs agités longuement
Et c'est toi qui t'en vas sur le pont des navires

Toi les sanglots éteints toi les balbutiements
Et sur le seuil au soir les aveux sans paroles
Un murmure échappé des mots dits en dormant

Le sourire surpris le rideau qui s'envole
Dans un préau d'école au loin l'écho des voix
Un deux trois des enfants qui comptent qui s'y colle

La nuit le bruire des colombes sur le toit
La plainte des prisons la perle des plongeurs
Tout ce qui fait chanter et se taire c'est toi

Et c'est toi que je chante AVEC le vent majeur

Louis ARAGON, Deux poètes d'aujourd'hui (Inédit, 1947)

jeudi 3 mars 2011

Cleopatra

The barge she sat in, like a burnish'd Throne
Burnt on the water : the poop was beaten gold,
Purple the sails : and so perfumed that
The winds were love-sick.
With them the oars were silver,
Which to the tune of flutes kept stroke, and made
The water which they beat, to follow faster ;
As amorous of their strokes. For her own person,
It beggar'd all description, she did lie
In her pavilion, cloth of gold, of tissue,
O'er-picturing that Venus, where we see
The fancy out-work Nature. On each side her,
Stood pretty dimpled boys, like smiling Cupids,
With divers colour'd fans whose wind did seem,
To glow the delicate cheeks which they did cool,
And what they undid did.
(...)
Her gentlewomen, like the Nereides,
So many mermaids tended her i'th'eyes,
And made their bends adornings. At the helm,
A seeming mermaid steers : the silken tackle,
Swell with the touches of those flower-soft hands,
That yarely frame the office. From the barge
A strange invisible perfume hits the sense
Of the adjacent wharfs.

SHAKESPEARE, The Tragedy of Antony and Cleopatra (Act Two, Scene Two).

jeudi 24 février 2011

Paysages

Paysages paisibles ou désolés.
Paysages de la route de la vie plutôt que de la surface de la Terre.
Paysages du Temps qui coule lentement, presque immobile et parfois comme en arrière.
Paysages des lambeaux, des nerfs lacérés, des "saudades".
Paysages pour couvrir les plaies, l'acier, l'éclat, le mal, l'époque, la corde au cou, la mobilisation.
Paysages pour abolir les cris.
Paysages comme on se tire un drap sur la tête.

Henri MICHAUX, Peintures (1939) in L'espace du dedans

vendredi 11 février 2011

Ombres

Au mal :

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Feu qui brûla le sang des forêts tropicales
Et qui faisait au ciel monter les feuilles sèches
Flammes lourdes d'en bas la terre pour tanière
Et danse dans les yeux au-delà des étoiles

Nous étions deux à nous chauffer au même feu
Chargé d'amour comme de plomb comme de plumes
Dans la douleur et dans la joie nous n'étions qu'un
Même couleur et même odeur même saveur
Mêmes passions même repos même équilibre

Nos gestes notre voix se détendaient ensemble
L'or de notre mémoire avait la même gangue
Et nos baisers suivaient une route semblable
Je t'embrassais tu m'embrassais je m'embrassais
Tu t'embrassais sans bien savoir qui nous étions

Tu tremblais tout entière entre mes mains tremblantes
Nous descendions la même pente vers le feu
Vers son délire et vers ses cendres vers la fin
De notre union la fin de l'homme avec la femme

Comment aurions-nous pu nous penser séparés
Nous qui filions nos jours et nos nuits en rêvant
Amants d'un temps commun amants de chair jumelle
Rien ne changeait de sens ni d'accent pour nous deux
Dans les plis de nos draps nous nous croyions utiles.

Et dans les plis des rues nous n'étions pas en vain
Nous luttions sans douter pour la vie fraternelle
Nous faisions corps avec le vent avec la voile
Avec l'espoir sans frein des hommes malheureux
Ils sont au bout de tout et chantent leur naissance

Mais toi tu es bien morte et moi je suis bien seul
Je suis mal amputé j'ai mal j'ai froid je vis
En dépit du néant je vis comme on renie
Et si ce n'était pas pour toi qui as vécu
Comme un être parfait comme je devrais être

Je n'aurais même pas à respecter nos ombres.

Paul ELUARD
, Une leçon de morale (1950)

jeudi 3 février 2011

Reconnaissance

Etre reconnu est au coeur de la demande d'amour. Etre reconnu dans son existence singulière. Cela commence avec le regard, celui d'une mère sans doute. Je me vois dans ce regard qui se porte sur moi : j'existe. Désarroi si ce regard me fuit, se porte ailleurs, est indifférent, hostile ou si je m'aperçois que je me suis leurré en croyant qu'il m'était destiné.

Jean-Bertrand PONTALIS
, En marge des nuits (2010)

dimanche 23 janvier 2011

Le clair sourire

Partout où ton pas est allé
Et partout où ta main se pose,
Il reste de toi quelque chose
D'indéfinissable et d'ailé.

Aussi j'aime ce que tu touches
Comme si c'était un peu toi ;
Partout où tu passas, je vois
Le clair sourire de ta bouche.

Il est là-bas, sur le balcon
Où tu suis ton rêve, accoudée,
Et dans la fraîche et sombre allée
Où nous allons.

Partout tu laisses une empreinte
Presque imperceptible de toi,
Une lueur jamais éteinte
Qui n'est visible que pour moi.

Ici je vois une attitude,
Un regard de tes larges yeux ;
Ici la tranquille habitude,
Ou le songe silencieux.

Là, c'est un signe de ta tête
Ou les fleurs que tu vas cueillir ;
Là, vaguement ta silhouette
En la brume du souvenir.

Partout où ton pas est allé
Et partout où ta main se pose,
Il reste de toi quelque chose
D'indéfinissable et d'ailé ...

Jules SUPERVIELLE, Comme des voiliers (1910)

jeudi 20 janvier 2011

Voyage en soi

Nous verrons-nous jamais quand, légers, auront fui
Les jours que nous vivrons encore ?
Aura-t-elle une fin l'imperturbable nuit,
Après notre dernière aurore ?

Ne viendras-tu jamais sur mon coeur d'autrefois
Poser ta main terrestre et douce,
Toi qui pour notre amour, multiple comme un bois,
Fus l'eau vivante sur la mousse ?

Est-ce vrai que l'on meurt tout à fait, est-ce vrai
Que les yeux clos jamais ne s'ouvrent ?
Et que le morne froid qu'un jour je sentirai
Est celui des chenets que nul feu ne recouvre ?

Est-ce vrai que ta joie et ton jeune baiser,
Et les saisons de ton visage,
Que tout s'effacera dans mon coeur apaisé,
Et même ta présente image ?

Toi que voilà glissant des bagues à tes doigts,
Et qui souris et qui badines,
Ô toi qui ne sais pas quel angoissant émoi
Est né dans mon âme orpheline ?

Jules SUPERVIELLE, Poèmes (1919)

lundi 17 janvier 2011

Couvre-feu

Que voulez-vous la porte était gardée

Que voulez-vous nous étions enfermés

Que voulez-vous la rue était barrée

Que voulez-vous la ville était matée

Que voulez-vous elle était affamée

Que voulez-vous nous étions désarmés

Que voulez-vous la nuit était tombée

Que voulez-vous nous nous sommes aimés.

Paul ELUARD, Poésie et vérité 1942 (1942)

dimanche 2 janvier 2011

La Création

Et Dieu s'promena, et regarda bien attentivement
Son Soleil, et sa Lune, et les p'tits astres de son firmament.

Il regarda la terre qu'il avait modelée dans sa paume,
Et les plantes et les bêtes qui remplissaient son beau royaume.

Et Dieu s'assit, et se prit la tête dans les mains,
Et dit : "J'suis encore seul; j'vais m'fabriquer un homme demain."

Et Dieu ramassa un peu d'argile au bord d'la rivière,
Et travailla, agenouillé dans la poussière.

Et Dieu, Dieu qui lança les étoiles au fond des cieux,
Dieu façonna et refaçonna l'homme de son mieux.

Comme une mère penchée sur son p'tit enfant bien aimé,
Dieu peina, et s'donna du mal, jusqu'à c'que l'homme fût formé.

Et quand il l'eut pétri, et pétri, et repétri,
Dans cette boue faite à son image Dieu souffla l'esprit.

Et l'homme devint une âme vivante,
Et l'homme devint une âme vivante...

Marguerite YOURCENAR, Fleuve profond, sombre rivière, Les "negro spirituals", commentaires et traductions (1966)

Le Ruisseau

    L ’ entendez-vous , l’entendez-vous   Le menu flot sur les cailloux ?   Il passe et court et glisse,  Et doucement dédie aux branches,...